A Hellemmes, l’ESS fabrique du lien social dans les quartiers de la politique de la ville

A la suite de la mort de Nahel en juin 2023, des émeutes éclatent partout en France. A Hellemmes, un des deux quartiers de la politique de la ville reste calme. La recette ? De multiples initiatives portées par des structures de l’ESS agglomérées dans un tiers lieu soutenu par la Ville. Ancien travailleur social, sociologue de formation, engagé dans l’associatif et élu municipal depuis 2020, Mabrouk Zouareg nous parle de sa vision de l’ESS et en démontre l’« impact multiple ».

Depuis 2020, vous êtes adjoint au maire de la Ville d’Hellemmes en charge des solidarités, de l’inclusion, de l’action sociale, du logement, du sport et de l’économie solidaire. Vous êtes aussi vice-président du CCAS, ancien travailleur social et directeur général d’une association nationale reconnue d’intérêt général. En tant qu’élu, comment décririez-vous la place de l’ESS sur le territoire d’Hellemmes ?

L’ESS a une place prépondérante à travers la présence de nombreuses structures qui sont juridiquement structurées de façon différentes mais qui appartiennent toutes à l’ESS. On a différentes formes de coopératives, des associations loi 1901, etc. On y trouve des Repair Café, comme par exemple le Biclou qui permet à des personnes aux portefeuilles modestes d’acquérir un vélo pour pas cher et de le réparer. On y trouve aussi des tiers-lieux comme le bar-restaurant le Polder, qui organise parfois des soirées-débats ou comme la Chaufferie. Nous avons aussi un autre type de tiers-lieux dont je suis plutôt fier car ça n’existe nulle part ailleurs en France, ce sont des tiers-lieux dans les deux quartiers de la politique de la ville (QPV), l’Epine et Dombrowski, portés par la Ville avec de nombreux acteurs associatifs et institutionnels. 

A l’origine de ces tiers-lieux, il y a de nombreuses initiatives présentes sur le territoire qui ont toutes un point commun : vouloir développer des activités économiques d’intérêt général. 
A un moment donné, la Ville a senti qu’on était allé au bout de ce qu’on pouvait mettre en œuvre dans le cadre de la politique sociale classique. La Ville a donc décidé de créer des lieux où les acteurs associatifs et les habitants peuvent se rencontrer et bâtir des projets collectifs. Des lieux qui émergent rapidement et qui sont investis par les habitants des QPV. 
Les tiers-lieux sont des lieux uniques qui peuvent être parfois plus fréquentés par des personnes d’un certain standing social, où les habitants des QPV ne se sentent pas toujours concernés ou en capacité de les investir. Ceci en partie parce qu’un centre social, une maison de quartier, on sait ce que c’est ; mais un tiers-lieu, c’est quoi ? Il y a un vrai travail collectif d’acculturation des habitants, notamment des quartiers modestes à effectuer sur ce sujet.
Dans ces tiers-lieux portés par la ville, la différence majeure est que les habitants ne sont pas obligés d’adhérer, de rentrer dans la gouvernance, ni d’être bénévole de façon structurée. Ce n’est donc pas perçue comme une contrainte forte ; ce sera sans doute amené à évoluer avec le temps. 

C’était aussi une façon de répondre présent à la suite de la crise du Covid-19, qui a mis de nombreuses entreprises et structures de l’ESS en difficulté. 
 

 

L’économie sociale et solidaire est présente dans presque tous les secteurs d’activités. De la petite association de belotte à l’épicerie coopérative, la loi de 2014 définit l’ESS comme un mode d'entreprendre et de développement économique qui place sa finalité avant toute chose et répond à des critères de gestion des ressources et de gouvernance démocratique. En tant qu’élu, comment appréhendez-vous l’ESS et comment accompagnez-vous les acteurs de l’ESS ?

La Ville d’Hellemmes partage la feuille de route de l’ESS mise en place en 2022 avec les communes de Lille et Lomme. Cette feuille de route porte une vision qu’on retrouve partout, celle du développement solidaire du territoire. On considère que l’individu est au centre de nos préoccupations, et non pas l’économie. Mais on considère aussi que l’économie, l’entreprise, ne sont pas taboues, tant qu’elles servent l’humain. 

L’ESS est un formidable outil de développement économique, raisonné et opposé à la logique de rentabilité. Je suis contre la rentabilité absolue partout parce qu’on voit bien que ça ne peut pas être l’alpha et l’oméga de notre société. L’éducation, la police, la justice – entre autres - ne peuvent pas être rentables.
Les nouvelles générations sont en quête de sens, d’engagement et les modèles de l’ESS peuvent être une réponse. On dit parfois à tort que les réseaux sociaux les ont rendus individualistes. Il y a des individus égocentrés dans ces générations mais pas plus que les générations précédentes.  Aujourd’hui on a une formidable génération qui cherche autre chose.
En tant que collectivité locale on se doit d’être à leur côté et si ça n’existe pas comme démarche, peut-être de l’impulser. Il ne s’agit pas de s’accaparer la démarche mais d’en faire un outil politique, au sens de la vie de la cité, de la contribution au bien-être de la cité. 

L’ESS est un outil qui doit davantage se démocratiser. Son enjeu actuel c’est d’être accessible et pas seulement à une partie des habitants, hors quartier difficile avec un certain capital économique et social. L’ESS doit être un outil économique différent. A l’échelle microéconomique, c’est un formidable outil de lutte contre les inégalités à la condition que l’ESS ne se développe pas que dans les centres villes. L’ESS a un rôle social important de par son rayonnement au-delà des centres villes. 

A Hellemmes, deux tiers-lieux soutenus par la ville sont sur deux quartiers prioritaires. Ils rassemblent des acteurs de l’ESS sur ces quartiers. Je pense aux Sacrophytes et au quartier comestible, à l’activité d’Intersol sur l’insertion, par exemple.

 

Les acteurs de l’ESS ont souvent du mal à valoriser l’impact de leurs actions sur la société. Quantifier du travail sur l’humain demande du temps et de l’argent que la plupart des acteurs n’ont pas. A l’UDES, nous avons développé l’outil Valor’ESS pour accompagner les structures de l’ESS dans cette démarche, souvent nécessaire pour obtenir des financements. Sur un plan plus macroéconomique, les indicateurs classiques de nombre de salariés et de part de l’emploi ne rendent pas justice à l’impact de l’ESS, qui va bien au-delà. En tant qu’élu, comment percevez-vous cet impact de l’ESS sur la commune d’Hellemmes ? 

L’impact de l’ESS est multiple. En tant qu’élu, ce qui m’intéresse c’est de soutenir des entrepreneurs qui vont renforcer ces liens de solidarité et de confiance réciproque, qui ne vont pas laisser de côté cette question de l’action sociale et de l’inclusion. 
Je leur fais confiance pour l’inventivité, la capacité à créer de l’innovation sociale et la volonté de contribuer à une prospérité où tout le monde s’enrichit - pas que financièrement. 
Par ses valeurs intrinsèques, l’ESS contribue à enrayer ce phénomène de fragmentation. 

L’illustration parfaite sont les émeutes de juin 2023 qui ont fait suite à la mort de Nahel. Ces émeutes font suite à celles des années 80 et de 2005. On découvre qu’on n’est plus du tout comme l’avait dit Chirac « une société coupée en deux, de fracture sociale », on est aujourd’hui un fossé immense qui fait qu’une partie de la population est dans la survie au quotidien, qu’on a des formes de replis identitaires et certaines formes de communautarisme qui n'existentpas que dans les quartiers. A ce propos, Jack Lang disait d'ailleurs : “que le communautarisme existe aussi chez les blancs et les riches qui vivent entre eux”.

Suite aux émeutes, on a observé deux résultats différents :

  • L’Epine est un quartier de 1 500 habitants, un quartier prioritaire dont les critères correspondent parfaitement aux critères des QPV : un nombre élevé de demandeurs d’emploi, un taux de pauvreté au-dessus de la moyenne, un grand nombre de familles monoparentales, etc. Il n’y a pas eu un seul incident sur ce quartier, pas une voiture brulée, pas une maison, pas une structure municipale, rien.
  • A contrario, dans le quartier Sart Dombrowski, on a eu de nombreux soucis : incendie de la salle municipale, mortiers tirés sur les logements collectifs et les équipements municipaux.

Dans ce quartier, le tiers-lieu porté par la Ville n’a pas encore ouvert. Les enfants qui ont été interpellés par la police, avaient entre 11 et 15 ans, on ne les avait jamais vus avant et on avait un peu perdu le contact à la suite du Covid. A l’inverse, sur l’Epine, le tiers-lieu l’Epine a vu le jour en 2021. Il nous avait permis de rencontrer des familles, de tisser du lien social.
On a donc deux territoires différents : un où des acteurs avaient mis en place plein de choses : identification de jeunes sur des actions d’insertion, forums pour l’emploi, fêtes de quartier, activités, etc. Et de l’autre, un quartier où il s'était passé moins de choses. il y a eu quelques initiatives, mais cela ne suffisait pas et les acteurs n’étaient pas identifiés. 
Au final, dans ce petit quartier de l’Epine, on s’est rendu compte qu’on a fait quelque chose qu’il est nécessaire, indispensable, de développer sur tous les quartiers et en particulier sur les QPV. 
Ces deux quartiers ont certes, d’autres différences, mais la différence fondamentale, et tout le monde a fait la même analyse, y compris des acteurs de la santé et d'autres à priori très éloignés de l’ESS, c’est qu’en 2020 et 2021, suite à la crise du Covid-19, à l’Epine on a pu raccrocher les enfants qu’on avait perdus de vue. Là où à Dombrowski, on avait arrêté puis restreint l'accueil des enfants dans les centres aérés, parce que c’était prohibé ; le tiers-lieu l’Epine a apporté plus de souplesse, et a permis d’agglomérer toutes les petites initiatives qui existaient déjà. 
On avait déjà une école ouverte où l’AFEV pouvait intervenir, des étudiants (kapseurs) présents sur le quartier contre des logements à prix abordables, le ccas avec l’adulte-relais, un lieu d’accueil pour les enfants et les parents, on a aussi la chance de travailler avec des partenaires comme Itineraires ou Citéo, qui fait de la médiation sociale dans et à la sortie des écoles.

Au moment où je vous parle, on est en train d’ouvrir le deuxième tiers-lieu à Dombrowski avec beaucoup d’acteurs de l’ESS qui réfléchissent à un projet d’activités et d'événements tels que développées sur le quartier de l'épine. Nous avons également une nouvelle cheffe de projet en charge de la coordination des projets sur ces quartiers.
Elle est depuis peu épaulée par une chargée de mission ESS à l'échelle de notre commune.

J’ai par ailleurs suivi une formation sur l’ESS portée par l’APES, car je n’étais pas spécialiste de ce sujet. J’avais besoin de m’acculturer et de savoir de quoi j’allais parler avec les associations et les habitants. J’y ai passé une année, et aujourd’hui, on est en réflexion avec Coop’circuit sur la mise en place d’une plateforme locale pour mettre en lien des habitants qui produisent et des potentiels consommateurs. Par exemple, j’ai un jardin et des légumes, où je fais des confitures, est-ce que je peux les vendre ? A qui ? J’ai besoin d’un transport pour déposer mes enfants à tel endroit, etc.
On essaye à une échelle plus locale de réparer les effets délétères d’une économie très mondialisée, déshumanisée, au sens négatif du terme, qui ne tient pas compte des aspects humains, qui est dans une compétition absolue sans frein et qui laisse de côté les plus défavorisés.

L’objectif est d’accélérer la transformation de l’économie à une échelle plus locale, pour une économie plus inclusive, plus durable.

Entretien réalisé le 14 octobre 2024.
 

Hauts-de-France

Chiffres clés

En Hauts-de-France, l’économie sociale et solidaire emploie 209 049 salariés, ce qui représente 11,2% de l’emploi sur le territoire, et compte 15 758 établissements, soit près de 10% du total des établissements de la région. 

Source : Edition 2020 de l’Atlas commenté de l’économie sociale et solidaire, Observatoire national de l'ESS – ESS France

 

En Hauts-de-France, l’UDES représente* plus de 76 000 salariés et environ 2 400 entreprises :

  • Services sanitaires, sociaux, médico-sociaux à domicile et services à la personne : 187 structures et 11 551 salariés
  • Etablissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux : 172 structures et 27 258 salariés
  • Mutualité : 20 structures et 9 355 salariés
  • Spectacle, Animation, Activités récréatives, Sport, Education populaire : 1 671 structures et 15 588 salariés
  • Coopératives : 187 structures et 6 344 salariés
  • Insertion, Formation, Actions de prévention et d’accompagnement à caractère social, Petite enfance : 243 structures et 6 798 salariés

Source : Analyse interne réalisée par le pôle relations sociales de l'UDES (octobre 2022)

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