Positiver la sobriété grâce à l’ESS
Les entreprises de l’ESS sont-elles exemplaires en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ? L’ESS peut-elle peser sur la neutralité carbone française ? Voici en quoi cette économie sociale et solidaire pourrait rendre la sobriété énergétique attractive et positive.
Que pèse les émissions de gaz à effet de serre en France (600 millions de tonnes d'équivalent CO2, soit 9,5 tonnes par habitant) ? Le chiffre n’existe pas et il manque pour valider que l’ESS est ce qu’elle dit être : une économie de la sobriété. Quoiqu’il en soit, les entreprises de l’ESS auront à participer à l’effort collectif pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’ESS
À commencer par le secteur des coopératives agricoles (l’agriculture représente 19 % des émissions, derrière les transports avec 31 %), mais aussi les banques coopératives ou encore le secteur mutualiste qui, du fait de leur activité financière (investissements, prêts, placements…) portent la responsabilité d’exclure ou non de leur portefeuille des secteurs ou activités fortement émettrices.
Les activités sanitaires et sociales et solidaires, majoritaires dans l’ESS en volume d’emplois et d’établissements, produisent, elles aussi leur empreinte carbone. Quelques associations, mais aussi des établissements mutualistes se lancent dans la mesure de cette empreinte, car comme l’indique Stéphane Pareil, directeur de l’Arseaa*, la transition écologique est un passage obligé, « ne serait-ce que pour attirer les jeunes talents ».
Assumer son histoire
Sur le plan de la réduction de ses propres émissions, l’ESS se trouve donc bien dans le même bateau que le reste de l’économie. D’ailleurs, à l’époque du rapport Meadows (« Les limites de la croissance », 1972), l’économie sociale n’a que peu réagi, comme le racontent Hugues et Bastien Sibille dans leur ouvrage épistolaire, « Être radical ». Le mutualisme et la coopération s’étaient organisés face à la prééminence du modèle capitaliste, ainsi, les sociétés de personnes favorisaient-elles un meilleur accès aux droits, mais aussi à la société de consommation.
L’économie solidaire, à peine naissante, était rivée, elle, sur ses enjeux de lutte contre les inégalités. Pour Bastien Sibille, président de Mobicoop, le déclic intervient il y a une quinzaine d’années : « Je parle d’entreprises comme les Fermes d’Avenir, ou encore, ce que je défends, des coopératives qui ont fait de la transition écologique le cœur de leur métier et se regroupent aujourd’hui au sein des Licoornes ». Il faut cependant se souvenir des militants de la bio qui, dès le début des années 90, ont développé des alternatives en empruntant les statuts de l’ESS (amap, Biocoop). En parallèle, d’autres, souvent des travailleurs sociaux, ont inventé au même moment les premières entreprises de l’économie circulaire avec le réemploi (Le Relais, Emmaüs, Envie).
Économie d’énergie ou économie de la sobriété ?
Non lucrativité, démocratie d’entreprise, coopération des parties prenantes… ces modalités d’action sont favorables à une économie de la justice sociale et si l’on y ajoute la clé de voûte qui est le partage de la valeur créée, on en arrive à un modèle d’économie de la sobriété. La relocalisation des activités économiques et les circuits courts, la coopération des parties prenantes, la quête d’un bénéfice environnemental et social plus que financier apparaissent dans le champ de vision d’acteurs aussi centraux que l’Ademe qui l’a clairement identifié dans son travail prospectif Transition(s) 2050.
Celui-ci trace quatre scénarios de transition possibles. Le premier « Génération frugale » et le deuxième « Coopération territoriale » sont les plus ambitieux en termes de réduction de la consommation et de la production tout en rendant cette réduction acceptable pour nos modes de vies. « Ces deux scénarios dressent un paysage qui est presque exclusivement porté par l’ESS. Si on globalise un peu ces deux scénarios, on évolue dans un monde où on essaie de consommer au plus près de nos besoins, on est dans l’économie circulaire, on est dans l’économie de matière, on est dans la réparation, dans le durable et le coopératif », nous explique Jean-Louis Bergey, chef de projet Transition(s) 2050 dans le podcast « L’ESS au cœur des scénarios de l’Ademe ».
Autrement dit, si l’ESS n’est pas exemplaire et meilleure élève que le reste de l’économie pour contribuer à la neutralité carbone, elle y est disposée et dispose des outils et des process capables d’engager de manière partagée et positive les transitions qui s’imposent.
Philippe Chibani-Jacquot, rédacteur en chef de NESS, le média des nouvelles solidarités, édité par Harmonie Mutuelle ESS.
*Arseaa : association en Occitanie qui accueille dans 54 structures toute personne souffrant de difficultés psychiques ou relationnelles, en risque de marginalisation voire d’exclusion sociale.